Certes je ne fais pas partie des intellectuels bien-pensants (Dieu m'en préserve! et je chéris d'ailleurs ma mal-pensance) qui brûlent en effigie la Star Académie au nom d'une certaine vision de la culture et de l'élitisme. Un jour, Patrick Le Lay (président de TF1) me disait, au cours d'un dîner, que personnellement il ne regardait pas la Star Académie et que c'était une émission qui ne l'intéressait pas du tout. Mais puisque ses téléspectateurs en redemandaient...
En revanche je me demande justement pourquoi cette émission a autant d'auditoire. Et surtout cela me pose des questions profondes : la Star Ac' est-elle une "fabrique de stars" ou une rampe de lancement pour des talents que personne ne connaît encore?
Certes dans la vie, et la vie musicale en particulier, il ne suffit pas d'avoir du talent pour réussir, et loin s'en faut. Si la Star Ac' est l'occasion de dénicher des gens qui bossent et qui méritent un public, alors d'accord. Mais on peut en douter : il est bien fini le temps où des producteurs écumaient les bars de province enfumés à la recherche d'un nouveau Bécaud ou d'une nouvelle Piaf. A l'époque du zapping, le public veut toujours plus de nouvelles têtes, bonnes ou mauvaises peu importe, comme le faisait observer Pascal Nègre (président d'Universal Music France) lors d'une entrevue au Parisien parue jeudi dernier. Les albums sont des feux de pailles où dansent les lueurs fugaces d'une gloire éphémère.
Mais surtout ce qui me chagrine, dans le phénomène Star Ac', c'est : est-ce que le public va vraiment le croire, quand on veut lui faire miroiter qu'il suffit de quelques semaines et de quelques "cours" pour fabriquer un artiste? Quel chanteur, quel com�dien, quel interprète pourrait être dupe? Et d'ailleurs suffit-il de savoir danser et d'avoir un joli minois pour "percer"? Barbara, Aznavour, Barbara Streisand ou même Céline Dion auraient-ils réussi au test de la Star Académie?
L'exemple de Céline Dion est familier aux Québécois, nous qui la connaissons depuis "Une colombe", alors qu'elle était toute jeune. Tout dans sa vie a été orienté en fonction du développement de sa carrière, et pour paraphraser Padrig Al Lay (permettez-moi de dire son nom en breton! ça lui ferait plaisir), personnellement je n'écoute pas ses chansons à longueur de journée mais je suis admirative du travail : elle s'est donné les meilleurs professeurs, elle a trimé des années en chant, en danse, elle a su bien s'entourer et a tout investi dans sa musique. Son succès, elle le mérite. Tout autant que le pianiste ou le violoniste qui remplit la salle Pleyel et qui depuis l'âge de 5 ans consacre trois, quatre, dix heures par jour à son instrument.
Je zappe la Star Ac' et je me demande si je ne devrais pas arrêter la musique classique, finalement, et tenter ma chance à un show de télé-réalité bidon. Mais je persiste à croire que le travail finit toujours bien par payer.
Sur une autre chaîne, sur Arte en fait, le Cirque du Soleil présente son spectacle Kâ. Et en voyant tout ce déploiement sur scène d'artistes du spectacle vivant, et bien vivant d'ailleurs!, d'acrobates, de danseurs, de costumes, cet univers complètement magique et profondément onirique rythmé par des pyrotechnies et dont la musique originale réunit 57 musiciens et 40 chanteurs, je me demande si je ne suis pas en fait en train de regarder un spectacle complètement baroque. Baroque dans son essence : en opérant la réunion de tous ces arts de la scène, en faisant retrouver au mot saltimbanque toutes ses lettres de noblesse (saltimbanque, chez moi, est toujours un mot d'amour), est-ce que le Cirque du Soleil n'est pas en train de réinventer la Tragédie Lyrique, version baroque du "spectacle total", un opéra dantesque version XXIe siècle?
Je remarque qu'un contre-ténor, sur scène, participe au spectacle. Eh bien, je vais vous confier quelque chose, moi qui aime les beaux costumes et qui affirme souvent que mon 6e sens est le sens de la démesure : je rêve de jouer dans un spectacle comme celui-là. Un spectacle par lequel le mot baroque n'aurait plus le sens simplement historique de référence aux XVIIe et XVIIIe siècles, mais se conjuguerait au présent. Et si c'était vraiment cela, l'esprit baroque?