Ra vo saveteet ar Rouanez gant Doue! C'est Audrey Le Scouarnec qui vient d'être élue Reine de l'Arvor 2007 à Vannes (au milieu avec le tablier blanc), et j'ai eu le privilège de faire partie du jury qui évaluait les jeunes filles sur trois grands aspects : un jury "patrimoine", dont j'étais membre, qui jugeait la connaissance de la culture bretonne (culture générale, musique et danse, costume et langue), un jury "élégance et maintien" et un jury "authenticité du costume". Audrey porte avec beaucoup d'émotion la robe de mariage de sa propre grand-mère, et danse au sein du cercle du Croisty, en pays Pourlet. C'est la deuxième fois que j'ai le plaisir de faire partie du jury "patrimoine" et cette année, les candidates nous ont étonnés par leur niveau, tant et si bien que je crois que l'an prochain nous devrons être plus exigeants encore, et relever le niveau de nos exigeances afin de les départager!
C'est formidable de voir que onze demoiselles ont prétendu cette année au titre de Reine, pour lequel il ne suffit pas d'avoir une jolie tête mais également de l'avoir bien pleine. Et si pour l'année prochaine, nous demandions à chaque candidate de nous présenter un court exposé, une page disons, sur un sujet culturel de leur choix? Ainsi nous aurions le plaisir non seulement de voir ces somptueux costumes traditionnels, portés avec superbe, mais également d'entendre l'une nous parler des peintres de la côte, l'autre de l'architecture des maisons traditionnelles, ou une autre encore des traditions de mariage dans son propre village... Bref, d'envoyer chacune à la pêche afin qu'elles nous rapportent dans leurs filets de dentelle un élément culturel du pays de Vannes.
A l'occasion des Fêtes d'Arvor, j'ai essayé de lancer une nouvelle mode : se réapproprier certains éléments du costume féminin traditionnel et les intégrer dans une tenue moderne, dans un audacieux mélange de tradition et de modernité, comme les musiciens bretons ont si bien su faire avec leur art. C'est ainsi que j'ai porté la coiffe de l'île de Groix sur une robe qui, si elle est bien en velours noir comme les tenues traditionnelles, n'en est pas moins courte et tout à fait moderne, avec un perfecto en cuir blanc et des bottes montantes de cuir noir (sans oublier les bas résille, évidemment). Dazont ar brezhoneg n'o ket e botoù-koad med e botoù nadoz!
La coiffe et le béguin sont ceux de la mère de Yannig Baron, fondateur des écoles Dihun (langue bretonne au sein de l'enseignement catholique), qu'on voit sur la photo arborant le chapeau de son grand-père. A noter également le modèle réduit d'un thonnier groisillon, posé sur le dessus d'une presse à lin du 17e siècle, un meuble extrêmement rare et sans prix. Pour un Breton, la coiffe de sa mère est souvent le plus précieux des trésors ; porter celle de la mère de Yannick, vénérable militant et légende vivante de la langue bretonne, est donc tout un symbole, mais aussi toute une responsabilité!
Enfin, pour ceux qui se poseraient la question, il y a eu un peu plus de breton cette année à la messe du grand pardon de Notre-Dame d'Arvor à la Cathédrale de Vannes, mais labour 'zo c'hoaz! il reste du boulot, tri mil boulc'hurun! (tonerre de Brest!) Certes on a eu droit à quelques répons (acclamation après l'évangile, refrain de prière universelle...) et même la lecture de l'évangile en breton vannetais à la suite du français, mais de cantique breton comme tel, point. Pire : en chant d'entrée, on a osé composer des paroles en français soi-disant à Notre-Dame d'Arvor sur le cantique "Eürus an hini": on garde donc la très belle mélodie bretonne, c'est déjà cela, mais on enlève les mots savoureux sur lesquels elle a été écrite pour les remplacer par des mièvreries en français à l'eau de rose. Qu'à cela ne tienne! puisque mon rôle de jury me donne accès aux premiers rangs dans la nef de la cathédrale St-Pierre de Vannes, je fais de la résistance et avec toute la puissance de ma voix, j'ai chanté le cantique original sur la poésie en breton pendant que le pauvre chantre ânonnait les paroles en français qui ne vont certainement pas remporter de prix nobel de littérature et qui spirituellement ne veulent rien dire.
Je ne comprends pas, et là c'est l'organiste qui parle, l'organiste qui a dans ses veines le sang de sept générations de musiciens d'église, je ne comprends pas pourquoi on continue d'appauvrir le répertoire de musique sacré catholique sous prétexte d'accessibilité au plus grand nombre. Surtout que cela produit exactement l'effet contraire, il n'y a qu'à voir les églises vides! Après le dernier concile, on a jeté le grégorien avec l'eau du bain "pour faire moderne" alors que rien dans les textes de Vatican II ne nous y obligeait : cette musique qui rythmait les offices depuis plus de mille ans, plongeant ses racines dans le chant ambrosien et le chant byzantin, disparaissait du jour au lendemain pour laisser la place à quelques très jolis chants en langue vernaculaire et beaucoup de musique d'ascenseur. En Bretagne on détient un fonds de cantiques sublime, il y en a des centaines, en pays vannetais, en Finistère, partout -j'ai des bouquins entiers à la maison, un rayon complet de ma bibliothèque!- et le peuple breton qui fut très pratiquant à une époque a mis tout son génie dans cette musique qui revêtait une importance primordiale dans leur société. Voilà qu'aujourd'hui on zappe tout cela, on le balaie du revers de la main, non seulement cela n'existe pas mais ne vous y intéressez surtout pas : cela n'a jamais existé, circulez il n'y a rien à voir, et lorsque je m'en insurge je passe pour une horrible militante arriérée et rétrograde, une communautariste sectaire!
Une Bretonne en coiffe!...
Remarquez on a le même problème en Provence. Régulièrement je participe à des messes en provençal (et costumée en Arlésienne, attention!), et il est difficile, au-delà de la lavande et des cigales, de dépasser le folklorisme aux yeux des gens.
Or l'humain a besoin de sacré. Il a besoin de Beauté. Ce n'est pas parce que les cantiques bretons sont en langue bretonne qu'ils sont beaux : c'est à l'inverse parce qu'ils sont beaux que ceux-là ont réussi à traverser les siècles. Dans quelques centaines d'années, quand on ne parlera plus français en France et que dans le cadre d'une fête traditionnelle on célébrera une messe dans la nouvelle langue vernaculaire, le Globish, les cantiques en français du XXe siècle qu'on chantera peut-être seront ceux qui auront été assez beaux pour traverser l'histoire. Il en va de même avec les cantiques bretons aujourd'hui.
Qu'importe : moi je fais de la résistance, et je chante en breton, like it or not. Au sortir de la cathédrale j'ai lancé sauvagement le début d'un cantique en breton, dans la rue, et les fidèles qui étaient autour de moi se sont empressés de joindre spontanément leurs voix à la mienne, un large sourire sur le visage. Et quand on me demande en quelle langue a été célébrée la messe, je réponds que c'était une messe FLB. Français, Latin, Breton.