samedi 8 septembre 2007
Oui, Pavarotti méritait des funérailles nationales
Par Claude Nadeau, samedi 8 septembre 2007 à 11:31 :: Actualités
"Quand Mozart est venu au monde, c'est au monde entier qu'il est venu", écrivait Sacha Guitry entre deux propos misogynes. Combien de personnes n'auraient jamais écouté d'opéra si Pavarotti n'était pas venu vers eux avec ses "amis", que ce soit les "trois ténors" ou les chanteurs de variété avec qui il a osé construire des ponts musicaux? C'est au monde entier que Pavarotti a donné sa voix, ce sont des millions de personnes qui ont ressenti une émotion en l'écoutant, un jour ou l'autre. Et parmi celles-là, la plupart d'entre elles n'avaient jamais mis les pieds dans un opéra.
Qui se souvient du nom des ministres des finances de l'Autriche ou même de l'empereur à l'époque de Mozart? Qui peut nommer l'un des présidents de l'Italie à l'époque de Caruso? Se souviendrait-on autant des Borgia ou de François 1er s'ils n'avaient pas été de grands mécènes qui ont vécu entourés d'artistes? Qu'est-ce que la politique ou la finance comparées à la musique?
Nous devrions être les héros de cette société. Nous, musiciens. Nous, artistes. Chaque jour nous polissons notre art, consciencieusement et sans relâche, pour donner au public un instant d'émotion, un instant de beauté, un instant d'amour, les seules choses qui restent quand on fait le compte de sa vie.
Nous travaillons comme des dingues pour préparer des concerts que nous offrons dans les églises et où le public, qui s'étonne que le concert ne soit pas gratuit, laisse une aumône de pièces jaunes dans le panier à la sortie. Un musicien classique a autant d'années d'études derrière lui qu'un chirurgien cardiaque ; et pourtant il faut nous battre avec les organisateurs de spectacles, les mairies, les centres culturels, pour décrocher un cachet de 150€ pour un concert qui nous a coûté 45h de répétitions (non rémunérées bien sûr), et encore c'est un bon cachet, qu'on négocie à coup de 10€ comme des marchands de tapis. Parfois l'employeur ne veut même pas déclarer, et alors il faut se battre pour avoir une fiche de paie, courir après les attestations Assédic.
Je ne me plains pas, ce métier de musicien je l'ai choisi et j'en suis fière. Je relève au quotidien le défi de vivre d'un instrument aussi improbable que le clavecin, et pour une intermittente du spectacle, je m'en sors plutôt bien! Mais je m'étonne à chaque fois de constater le peu de valorisation de notre métier par la société actuelle, le faible revenu qu'il génère si l'on prend en compte le niveau d'études et le temps consacré au travail (hormis quelques stars, mais en musique classique elles ne sont pas nombreuses), et l'antipathie quasi générale pour les intermittents du spectacle, dont on s'apprête encore à durcir le régime.
Moi je m'en sors bien, mais combien d'amis autour de moi, musiciens, danseurs, comédiens de talent, ont été éjectés du système parce que ce qu'ils faisaient n'est pas assez lucratif. La source s'est tarie, maintenant ils exercent un autre métier pour gagner leur vie, et ne peuvent plus consacrer 40, 50 ou 60h par semaine à préparer leurs spectacles. C'est fini, leur talent n'irriguera plus notre société qui a tant besoin de rire, de s'émouvoir, de chanter, de s'extasier, de jouir, de vibrer. C'est ce métier que je défends, le beau, grand et noble métier de saltimbanque, un terme méprisable pour certains mais qui sonne chez moi comme un mot d'amour.
Cela dit, heureusement certaines structures valorisent encore le rôle de l'artiste : on vient de m'annoncer sous couvert du secret une grande nouvelle qui ne manquera pas de faire du bruit, il y a une nomination dans l'air et elle me concerne! Mais j'ai promis de ne pas en parler jusqu'à la conférence de presse... restez branchés, vous serez les premiers informés!
7 commentaires
:: aucun permalien
Mots-clés : concert , métier de musicien , opéra