Le 17 juin dernier, l'Office de la langue bretonne a remis ses "Prix pour l'avenir de la langue bretonne" en choisissant de le faire dans le très bel écrin de l'auditorium des Carmes, à l'école de Musique de Vannes, en profitant de l'affluence du
Salon du Livre de Vannes.
voir les lauréats sur le site de l'Ofis,
l'article sur Agence Bretagne Presse en français et
en breton, et sous l'oeil attentif des caméras de
France 3 Bretagne
A cette occasion, il m'a été demandé d'ouvrir et de clore la cérémonie avec de la musique bretonne au clavecin. J'ai donc commencé par jouer un prélude et une gigue du compositeur vannetais Charles de Mars que j'affectionne tout particulièrement. J'ai aussi joué le cantique "Pe trouz war an douar", que le public s'est empressé de chanter avec moi! et puisque les bergers à la crèche "jouent haubois, résonnez musettes", je me suis prise à imaginer qu'ils auraient bien pu être un couple de sonneurs, et j'ai enchaîné sur un laridé vannetais en mode ancien. Au clavecin! On me dira plus tard dans la salle que certaines personnes n'ont eu qu'une envie: se lever et danser!
N'est-ce pas après tout aussi l'un des rôles du clavecin, certes plus habitué à jouer des danses comme l'allemande, la gavotte, la courante, la sarabande?
J'appréhendais cette cérémonie, car j'ai toujours peur qu'on n'écoute le clavecin qu'avec complaisance, par politesse, en pensant ouais, finalement, bof. Mais à ma grande surprise, énormément de gens sont venus me voir après la cérémonie pour me dire à quel point ils avaient été conquis, qu'ils avaient découvert plusieurs facettes de l'instrument, et c'est toujours un moment magique pour un musicien.
L'occasion de tisser un parallèle entre le clavecin et le breton : il nous appartient de composer son histoire à venir. Dans les deux cas c'est ancien, c'est fragile, il faut prêter attention si on veut l'entendre, il a plus de littérature qu'on ne le pense, et si on n'y fait pas attention on ne l'entendra plus.
J'ai été frappée d'entendre plusieurs lauréats des prix venir chercher leur trophée et s'exprimer en français, s'excusant presque de ne pas être locuteur du breton. Remarquez, tant qu'ils posent des actions pour promouvoir cette langue, après tout... mais on a du mal à trouver crédible des personnes qui ne joignent pas les actes aux paroles. Je connais des personnes qui "s'excusent" depuis dix ans de ne pas parler breton. S'ils avaient vraiment voulu, vous ne me ferez pas croire que depuis 10 ans ils n'auraient pas trouvé quelques minutes tous les jours pour au moins potasser une méthode Assimil?...
Apprendre le breton est une décision. On peut ne pas la prendre et défendre quand même la langue; c'est déjà pas mal. Mais pour avoir fait l'effort de m'y mettre, je me suis rendu compte qu'on a une perception complètement différente de la question à partir du moment où on est à l'intérieur, où on fait partie des locuteurs.
Aussi je n'ai pas pu m'empêcher de répondre, avant mon dernier morceau, à toutes ces personnes qui s'excusent de ne pas parler breton en disant "oui, mais vous comprenez, moi mes parents ne parlaient pas breton..." eh bien les miens non plus! Un jour on se lève et on se prend en mains, c'est tout. Si vous avez vraiment envie de défendre le breton, parlez-le! Si vous ne trouvez pas le temps pour le faire, c'est que votre motivation n'est pas assez forte, ce qui est possible aussi et ce n'est pas répréhensible. Mais arrêtez de vous cacher derrière vos parents ou de dire "oh moi je viens du pays gallo". Apprendre le breton est une décision, vous la prenez et vous y consacrez les efforts que ça mérite, ou pas. Et si vous ne le faites pas, ce n'est pas grave, mais au moins reconnaissez que c'est parce que vous manquez de motivation. D'autres gens s'y mettent, des milliers de gens s'y mettent, et réussissent. Et puis franchement vous aurez beau dans quelques années défendre une langue que plus personne ne parle...
Trouveriez-vous crédible au Québec qu'on dise la main sur le coeur "moi je défends le français" et ce sans le parler? sans blague?...
On ne peut pas aimer qu'à moitié. Si vous défendez le breton sans le parler, alors vos amours sont platoniques... ce qui est tellement moins bien!
Ah oui tiens : mention spéciale aux "officiels", et c'est quand même pas piqué des hannetons, qui pouvaient bénéficier d'un casque pour la traduction simultanée, et qui ne l'ont porté que pendant les 5 premières minutes pour faire joli. Cela veut dire qu'ils ont passé la quasi totalité de la cérémonie à faire semblant d'être attentif à des paroles auxquelles ils ne comprenaient absolument rien. Cela veut aussi dire qu'ils s'en fichent royalement.