ParClaude Nadeau,lundi 13 février 2012 �13:36 :: Un peu de tout:: #236 :: rss
Si l'équinoxe marque le début de l'automne, c'est un soleil estival qui dorait les vignes déjà rousses pour le chapitre de l'équinoxe et de la plume. En Bourgogne la chasse est désormais ouverte, mais c'est un étrange gibier à plumes qui s'est installé au Clos Vougeot tout au long du week-end, puisque le salon Livres en vignes accueillait quelque 80 écrivains.
En milieu d’après-midi je cours encore : j’anime les rencontres dans le dortoir des moines, il fait une chaleur écrasante et je cherche des bouteilles… d’eau, pour mes auteurs. J’essaie d’imaginer le même lieu, loin de cette cohue mondaine, et le sommeil serein des moines qui détiennent la vraie paix intérieure.
Les écrivains se connaissent et ce qui devait être un débat ressemble plutôt à un salon littéraire, où chacun discute à bâtons rompus et sous le charme du lieu. Grégoire Delacourt parle du livre de Stéphane Corvisier, Denis Grozdanovitch n’en pense pas moins et Aliette Armel déclare « Tiens, moi je vais interviewer Claude Nadeau ! Il paraît que vous jouez du clavecin ? » L’arroseur est arrosé, l’animatrice est animée et le public ravi. Est-ce le sortilège du Clos Vougeot qui les rend tous de si bonne humeur ou les prémisses des agapes qui nous attendent ce soir ?
Car l’air embaume déjà, et depuis ce matin ils sont douze en cuisine autour du maestro Olivier Walch, que j’entr’aperçois par la porte ouverte et qui m’apostrophe gaiement « On a écouté ton émission tout à l’heure ! » J’éprouve un grand moment de jouissance narcissique en pensant que j’étais un peu avec eux, dans le saint des saints, au creuset de l’Athanor, là où l’alchimie opérera tantôt, avant de me souvenir que France Bleu Bourgogne est la seule radio qu’on capte à travers les murs épais du Clos…
Pas le temps de m’en émouvoir, je dois à présent trouver un endroit où me changer ; je monte et descends les escaliers, tenant haut le cintre de ma robe : où vais-je donc bien pouvoir, dans le somptueux dédale du Château, me trouver un endroit tranquille ?
On m’indique un bureau, je m’y installe, dézippe la housse et mon tailleur, je resterais bien en maillot de bain vu la chaleur qu’il fait. Je m’apprête à courageusement revêtir ma robe longue quand une deuxième porte s’ouvre au fond. Instant critique, le temps s’arrête, je suis surprise, il est étonné ; je prends la housse et m’en fais un pagne, je balbutie… euh… bonjour Monsieur, qu’est-ce que vous faites ici, on me répond comment qu’est-ce que vous faites ici, mais qu’est-ce que VOUS faites ici dans mon bureau, on se regarde, on se croirait dans une pièce de Feydeau, ciel mon mari, je rougis, mais depuis l’affaire du Sofitel les Français savent qu’il vaut mieux ne pas rester trop longtemps dans la même pièce qu’une femme à moitié nue, et mon interlocuteur s’éclipse non sans tirer le verrou de la porte par laquelle il est entré. Je suis dans mes petits souliers, perplexe et penaude, je me voulais princesse et je ne suis qu’une petite fille qui fait des bêtises. La soirée commence bien.
Las ! Il en faudrait plus pour m’abattre aujourd’hui. Je tresse un chignon, peaufine le maquillage, ajuste la robe, et je sors du bureau en affichant un port de reine comme si rien ne s’était passé. Je me dirige vers la cour.
Gens de plume et gens de vignes, jeunes auteurs et écrivains insignes sont endimanchés pour la soirée, curieux, enthousiastes, méfiants, ravis, blasés, ou gourmands : ce soir leur plumage est à l'égal de leur ramage. Leurs ouvrages sont à l'étage, pour les lecteurs qui viendront encore demain, nombreux. Les bulles pétillent dans les coupes, les trompes du Débûché de Bourgogne sonnent, la cloche appelle à table, le festin peut commencer.
Chacun cherche sa place, et c'est la diversité des convives qui frappe : il y a les habitués, rompus au us de la Confrérie ; il y a les hôtes étrangers, pour qui cette soirée est le point culminant d'un long voyage, depuis Halifax, Vancouver, Dallas, le Connectticut, la Côte d'Ivoire, ou même le Japon ; il y a les gens très sérieux, les futurs intronisés, les débutants, les mal à l'aise, les conjoints, et les saltimbanques - un certain nombre d'écrivains parmi ceux-là. Il y a les sommeliers, les maîtres d'hôtel, les cuisiniers, le chef, béni des dieux (gloire à lui!), il y a les Cadets de Bourgogne et les Trompettes du Château du Clos de Vougeot. Tous ces gens convergent dans un gai cérémonial, joyeux sabbat d'équinoxe où l'on va sacrifier à Bacchus et à Epicure.
L'équinoxe est le moment du parfait équilibre de la nature, et la soirée sera à l'envi. 585 assiettes d'oeufs en meurette arrivent en même temps, ils sont tous à parfaite température. Six grands vins tastevinés et pas un faux accord. Même les sonneurs n'ont pas réussi à offrir un seul canard aux mélomanes chasseurs, et nous délectent de leurs quintes justes et pythagoriciennes : la perfection serait-elle donc de ce monde?
Ca parle anglais, ça parle japonais et ça chante bourguignon. Avec mon voisin de table, nous essayons de faire croire aux Canadiens d’à côté que l’entremets désigné par le menu comme « Escargot de glace » est une glace aux escargots, mais si, vous savez, c’est une spécialité, c’est so typical, you should try, et leurs yeux effarés ne rencontrent que notre plus grand flegme. Surtout ne pas éventer la combine, surtout ne pas pouffer de rire. Et du coup leur piquer leur assiette qu’ils n’auront pas touchée.
Et ce soir si, des officiers de la Confrérie aux officiers de bouche, des célébrités intronisées aux anonymes invités, tous sont égaux devant l'équilibre des plaisirs équinoxiaux, certains seront mis à l’honneur : les intronisés. Parmi eux, Henri Guaino, conseiller spécial du Président de la République, à qui le Grand Connétable Louis-Marc Chevignard lance, en ces temps de rigueur et à l’orée de l’élection présidentielle, que « Les Français sont d’accord pour trinquer, mais encore faut-il que le Président boive !»
Je passe en coulisse féliciter les artistes, les maîtres d’hôtel qui ont été impeccables, et la brigade qui s’affaire à nettoyer la cuisine. Les marcs circulent, les fumeurs sont dans la nuit étoilée. Violette Cabesos est divine dans sa toilette années folles ; Patrick de Carolis discute avec Evelyne Philippe et Bernard Lecomte, qui présentent les uns aux autres en presque maîtres de maison. Je réajuste le nœud papillon d’Harold Cobert tandis qu’on discute monocépage avec Alexandre Moix à qui j’explique que le pinot noir est comme une jolie femme, tantôt classieuse, tantôt dévergondée lorsqu’elle détache son chignon, et jamais deux fois la même.
Je reviens à ma place et trouve sur mon menu un numéro de téléphone griffonné à la hâte, avec un petit mot demandant si je voudrais faire un tour du côté du Clos Les Amoureuses, pour y découvrir Les Charmes d’un Beau Brun. Je n’ai pas le prénom de mon admirateur secret, mais je sais qu’il est amateur de Chambolle-Musigny, ce qui ne laisse présager que de belles et bonnes choses… (note: ce sont des noms de premiers crus. Voir: http://fr.wikipedia.org/wiki/Chambolle-musigny_%28AOC%29#Lieux-dits)
Je grimpe dans le car qui me ramène à Dijon, la tête remplie d’étoiles et les pieds endoloris. Je descends au dernier arrêt, devant l’Hôtel de La Cloche. Mes talons aiguille à la main, pieds nus sous ma robe longue, je commence à remonter la rue de la Lib’ jusqu’à chez moi Place St Michel. Le chauffeur me hèle et me demande où je vais ; mais la princesse ne vient pas d’un lointain royaume mon brave, j’habite là vous savez, mais c’est tout près, ne vous inquiétez pas pour moi. Il insiste pour que je remonte, me dépose à ma porte. Je remercie mon prince pour son carrosse qui demain se transformera non pas en citrouille mais en car normal du Conseil Général, je descends sans oublier ma pantoufle de vair et rentre chez moi épuisée et heureuse. J’ai emporté mon menu. Je le garde précieusement.
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