ParClaude Nadeau,jeudi 17 novembre 2011 �11:54 :: Concerts:: #234 :: rss
C'est arrivé en septembre, à l'occasion des journées du patrimoine. Et je vais vous raconter.
Depuis longtemps j'ai pris la décision de ne plus jouer gratuitement. Pour une raison très simple : tous les plans gratuits que j'ai pu faire ont toujours, toujours été des plans galère. Souvent il y a pourtant beaucoup de bonne volonté, on joue gratuitement pour une association, pour des amis qui viennent de monter un projet, pour une petite structure qui essaie de s'en sortir. Mais l'expérience a malheureusement prouvé, à plusieurs reprises, que ce n'est jamais une bonne idée. Pourquoi?
Peut-être parce que ce qu'on ne rémunère pas ne vaut rien. Vous êtes gratuit, on vous traite donc d'une façon dont on n'aurait jamais traité quelqu'un rémunéré par un cachet de 2000€. De plus, ce genre de prestation se faisant sans contrat, on peut tout vous faire. Vous interrompre en plein morceau, vous faire jouer dans un coin, en musique de fond, ne pas mettre en place les conditions d'accueil minimales...
Donc ce jour-là, j'accepte de jouer gratuitement pour un ami qui essaie de faire vivre un lieu d'art contemporain en milieu rural. D'accord je joue gratuitement, mais là ça va bien se passer, j'en suis certaine! L'exposition s'appelle Aux Armes, et l'idée de jouer un répertoire guerrier pour clavecin dans une ancienne friche industrielle fait très "performance" et me plaît bien.
photo: Yves Michiels, source : Facebook
J'avais d'abord proposé une performance de Musique Post Bourgeoise, puisque c'est une prestation que nous avons déjà présenté dans plusieurs lieux d'art contemporain: Espace Pierre Cardin, galerie Anne de Villepoix... mais l'idée avait été abandonnée faute de budget.
Musique Post-Bourgeoise ne se produit pas gratuitement, et Claude Nadeau, parce que c'est un ami qui organise l'igauguration de son expo, va commettre l'erreur de le faire.
J'ai déjà expliqué dans un autre billet à quel point se préparer pour un récital est un véritable marathon, c'est une préparation physique et psychologique, et c'est d'une difficulté prodigieuse.
On me trouve donc un clavecin, on l'emmène sur place. Dans l'après-midi, le musicien qui devait assurer la première partie de la soirée se désiste! Le responsable du lieu me dit donc, d'un ton badin : eh bien Claude vous pourrez jouer un peu plus longtemps, voilà tout? - Euh...! euh oui, bien sûr, enfin... oui sans doute. C'est à ce moment que j'aurais dû commencer à me douter de quelque chose. Tout le reste allait débouler dans la suite.
Rien à dire sur l'accueil charmant qui m'a été réservé : on me prie de déjeuner à la table familiale, on me laisse le calme nécessaire pour accorder le clavecin... puis l'heure du récital arrive. Il était prévu à 19h30 si ma mémoire est bonne. 18h30 le compte a rebours a commencé, 19h je finis l'accord du clavecin, 19h10 je revêts mon costume de scène -un uniforme de l'armée!- 19h15 maquillage, 19h20 zen, zeeeen, le récital est dans 10 minutes. Exercices de respiration profonde, le marathon va commencer. 19h30, le récital ne commence pas, bon... le quart d'heure bourguignon sans doute. Moi, je suis prête, prête à jouer, sur les starting blocks, la tension à son comble, l'énergie positive prête à jaillir.
19h40, toujours pas de signal de départ.
19h50 on me dit qu'on attend toujours untel, et untel... je m'impatiente.
19h55 j'estime que ça suffit le foutage de gueule, qu'on attend des gens qui ne viendront peut-être même pas, que c'est à eux de se présenter à l'heure et pas à nous de nous assujettir à leurs horaires, et je fais le forcing pour y aller. J'y vais.
Forcément, parti comme cela, le concert ne peut qu'être mauvais. Un jeune homme vient me demander s'il peut se servir de sa caméra durant le concert, je lui réponds que oui à condition que ce soit sans flash. J'arrive au clavecin, je joue la tonitruante entrée en matière, la Canonnade de Balbastre (tiens, un autre bourguignon!).
Je me rends compte que le jeune homme de tout à l'heure est installé avec son trépied, qu'il filme et qu'il semble bien avoir l'intention de filmer tout le concert. Après ce premier morceau, je lui glisse donc "SVP, pas de captation". Hein? qu'il me dit - Pas de captation. Captation. Pas de vidéo quoi! Hein? je veux dire que vous stoppez immédiatement cette caméra! - Je suis sur scène, alors que je suis obligée d'avoir cette conversation...
Evidemment, prestation gratuite, pas de contrat. Mais lorsqu'il y a un contrat, on le sait bien, tous les contrats-type mentionnent la fameuse phrase "En dehors des émissions d’information radiophoniques ou télévisées d’une durée de trois minutes au plus, tout enregistrement ou diffusion, même partiel, des représentations, objet du présent contrat, devra faire l’objet d’un accord écrit". C'est d'autant plus incroyable que personne ne m'a ni informée de cette captation, ni même n'ait demandé mon accord!
A partir de ce moment de la soirée, pourtant en début de concert, je commence à être très énervée. Mais très énervée. Ce ne sont pas des conditions pour jouer, et tout le reste du concert ne pouvait qu'être dans la mauvaise énergie de tout cela mis ensemble.
OK j'ai joué dans toutes les circonstances. Musicienne en paroisse pendant 20 ans, adepte des fêtes médiévales, des banquets et autres animations de rue, j'en ai vu d'autres. Cependant, un récital de clavecin ça ne s'improvise pas. C'est extrêmement exigeant et si les conditions partent en quenouille, ça ne fonctionne pas...
Après le concert, alors que les invités du vernissage se pressent autour d'un verre, je me change, je n'ai qu'une envie, partir au plus vite. Je suis en rase campagne ; pour autant je trouve un taxi (c'est un exploit!) pour m'amener à la gare la plus proche: Vénarey-les-Laumes.
photo: geomichel, allez voir son blog
Le guichet est fermé. Seul un automate pourri monte la garde. Il ne fonctionne pas. Je traverse le souterrain glauque et puant pour rejoindre le quai n°2 où passera tout à l'heure le dernier train pour Dijon. Je suis seule sur le quai, nous sommes quasiment en rase campagne. J'ai dans la main droite un sac qui contient les partitions et les somptueux facsimilés que je viens de jouer, plutôt mal d'ailleurs. Je n'aime pas être mauvaise, je n'aime pas mal jouer, ce n'est pas mon habitude. J'ai envie de vomir. Je me demande ce que je fais là. Je n'ai pas dîné. J'ai faim. Je suis dégoûtée. Un néon grésille que le quai désert.
Qu'est-ce que je suis venue faire dans cette galère.
Commentaires
1. Lesamedi 19 novembre 2011 �15:44, par Erick B
2. Lesamedi 19 novembre 2011 �15:45, par Claude Nadeau
3. Lesamedi 19 novembre 2011 �15:45, par Frédéric Moisan
4. Lesamedi 19 novembre 2011 �15:45, par Elin Soderstrom
5. Lesamedi 19 novembre 2011 �15:45, par Catherine G
6. Lesamedi 19 novembre 2011 �15:46, par Claude Nadeau
7. Lelundi 21 novembre 2011 �18:15, par Frañsa
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