Musique à tempérament(s)

En furetant sur les pages de notre site, on peut lire l'expression "gammes anciennes", "gammes non tempérées", "tempérament inégal". Que signifient toutes ces expressions? Comment un tempérament peut-il changer toute la couleur de la musique? Et d'abord, qu'est-ce qu'un "tempérament" musical?

  Une gamme non tempérée, c'est une gamme où les espaces entre les notes ne sont pas toujours les mêmes: les intervalles ne correspondent pas tous au même écart. Par exemple, la quite do-sol peut être plus grande que la quinte ré-la.

  Un tempérament, c'est un système qui organise ces intervalles selon une certaine logique.

Les lois de l'acoustique sont très simples. Prenez une note, un la par exemple, dont la fréquence est de 440 Hertz. Multipliez cette fréquence par 2, on obtient une note qui vibre à 880 Hertz, et qui est toujours un "la", mais une octave juste au-dessus de la première note.

Tout est une question de proportion. Ainsi, entre les notes d'un intervalle comme la quinte (do-sol par exemple) s'établira un rapport de 2:3. La nature est parfaite, et en observant ces proportions entre les fréquences et les hauteurs de son, on obtient des intervalles acoustiquement purs, brillants, riches en résonnances et en harmoniques.

On pourrait imaginer, partant de ce principe, vouloir accorder des instruments de musique uniquement avec des intervalles purs; Pythagore, en Grèce antique, a travaillé sur cette hypothèse. Mais après avoir fait s'enchaîner tous les intervalles par cercle de quintes afin d'obtenir la hauteur exacte de chaque son, de do à sol, puis de sol à ré, de ré à la, de la à mi, etc, lorsqu'on arrive au 12e et dernier intervalle, surprise! on ne retombe pas sur la note de départ mais légèrement à côté. Cette "marge d'erreur" est de la valeur d'un comma.

Trois hypothèses s'offrent alors à nous:

    Laisser ce comma entier sur le dernier intervalle, afin d'avoir onze quintes acoustiquement pures et une seule beaucoup plus petite. C'est le tempérament dit "pythagoricien", et la quinte "fausse" est appelée "quinte du loup".

    Répartir le comma également entre tous les intervalles, de sorte qu'aucun intervalle ne soit acoustiquement pur, et que chaque note soit "fausse" de 1/12 de comma. C'est le tempérament égal, utilisé dans la musique occidentale depuis, disons, le XIXe siècle et surtout depuis l'avènement du piano, qui a tout nivelé par le bas

    Explorer d'autres façons de répartir ce comma, d'après les tonalités et les intervalles qu'on veut favoriser. Il y a autant d'hypothèses que de musiciens et d'époques, et plusieurs traités nous parlent des hypothèses de Zarlino, Rameau, Bach, etc... On parle alors de tempérament inégal, de gammes anciennes, bref: de musique non tempérée.

C'est donc la répartition inégale de ce comma, selon divers systèmes d'accord, que l'on appelle "musique non tempérée".

Qu'est-ce qui doit motiver, pour un musicien moderne s'intéressant à la musique historique, l'usage de tel ou tel tempérament?

Le but de l'interprétation historiquement éclairée de la musique, qu'elle soit baroque ou plus ancienne, voire plus récente, est de vouloir redécouvrir une oeuvre "à l'état naissant", en mettant en place un maximum de conditions afin d'entendre cette musique telle qu'elle a pu être jouée à l'époque où elle a été composée. On se rend compte, parfois, que ce que l'on croit être des "améliorations techniques" changent radicalement la façon de jouer la musique; par exemple, on obtient un son tout à fait différent lorsqu'on actionne manuellement la soufflerie d'un grand orgue, sans avoir recours à une soufflerie électrique. En ce qui me concerne, j'aime les limites de mes instruments, car elles m'apprennent une foultitude d'éléments stylistiques qui découlent des possibilités (ou des impossibilités techniques) des instruments d'époque.

De même les tempéraments: en rendant certains intervalles plus purs et d'autres presque dissonants, ils contribuent à donner à la musique une couleur toute particulière. Par exemple, une séquence (répétition d'un même motif musical à différentes hauteurs) sonne à chaque fois d'une manière différente selon sa position harmonique dans la gamme. Donc, lorsqu'un compositeur choisit d'écrire dans une certaine tonalité, ou de mettre telle note à un endroit précis, c'est parfois qu'il recherche justement un effet de dissonance, et une couleur particulière qui disparaît lorsqu'on joue la même musique sur des instruments parfaitement tempérés.

Pour choisir un tempérament dans l'interprétation de la musique ancienne, on doit prendre en compte l'ensemble de ces facteurs: l'époque de la musique (pour schématiser: plus c'est ancien, moins c'est égal), la région géographique, les influences du compositeur, les tonalités... Mais il ne faut pas oublier que le douzaine de tempéraments généralement retenus dans les livres de musique ne constituent qu'un tout petit échantillon de ce qui a pu se faire autrefois. Il ne suffit donc pas d'associer telle tonalité à tel tempérament, ou tel compositeur à tel accord; au-delà de cette simplification, un bon musicien devrait idéalement assimiler la notion même de tempérament, et être capable de se mettre dans la peau d'un musicien du XVIIIe s., par exemple, qui a lu différents traités et qui a sa propre idée sur le sujet.


Musique et tempéraments, Pierre-Yves Asselin

Pour en savoir plus, je vous recommande vivement la lecture de l'excellent ouvrage de Pierre-Yves Asselin, "Musique et tempéraments". Vous trouverez cet ouvrage, éventuellement accompagné d'un cd avec des exemples, entres autres à la Maison de la Musique Ancienne de Paris (réclamez-le de ma part! ;-).

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