Nous disposons, pour l'interpr�tation de la musique historique, d'une foule de sources �crites qui nous �clairent sur la notion de temp�rament � une �poque donn�e. Or, pour qui s'int�resse � la musique traditionnelle, la notion de temp�rament pose les m�mes d�fis que le collectage d'airs anciens.
A partir de quel moment peut-on v�ritablement parler de temp�rament in�gal et non de quelqu'un qui joue faux ou qui chante faux?
A mon avis, on peut parler d'�chelle de gamme non temp�r�e si l'�cart entre les notes correspond � un syst�me fixe, qui comprend une logique interne.
La question est d�licate: le papy qui chante sa chanson dans une gamme "particuli�re" le fait-il parce qu'il a effectivement une �chelle diff�rente dans l'oreille ou parce que sa voix chevrotante ne lui permet plus de chanter juste? Il faut entendre plusieurs chansons avant de d�gager une logique interne (la quite tonique-dominante est acoustiquement pure, donc plus grande; le sixi�me degr� de la gamme est syst�matiquement rabaiss�, etc...), peu importe la tonalit� ou la hauteur � laquelle notre papy entonnera son air. J'ai entendu des enregistrements de violonneux o� certaines notes �taient toujours un peu plus basses que les autres, et j'ai mis du temps � comprendre que c'�tait parce que le violonneux n'arrivait plus, avec son arthrite, � changer de position sur la touche de son violon! Rien � voir, donc, avec un temp�rament en soi. A moins bien s�r qu'un jeune ayant appris le violon avec cette personne reproduise syst�matiquement cette erreur et la transmette � son tour... le cas �ch�ant, peut-on encore parler d'un temp�rament particulier? Voil� une question bien d�licate!
Autre exemple int�ressant: on peut d�gager chez les anciens chanteurs de kan ha diskan du pays vannetais une �chelle toute particuli�re, tr�s in�gale. Il est int�ressant de constater que cette �chelle est � peu pr�s la m�me que celle des anciennes bombardes et anciens binious (ant�rieurs au XXe s.) des luthiers du pays vannetais (qui fut par ailleurs longtemps un centre de lutherie important en basse Bretagne). Dans cet exemple, on peut v�ritablement parler de syst�me de gamme non temp�r�e, car on d�gage une constante dans une m�me r�gion entre chanteurs et instrumentistes, et qu'on arrive � percevoir une "logique" interne dans cette �chelle.
Mais quelle logique! Sur les bombardes anciennes, les diff�rences entre les notes sont si grandes qu'elles atteignent presque le comma entier dans certains cas!
Partant du principe g�n�ral que plus un temp�rament est ancien, plus il est in�gal, aurait-on retrouv� par ces instruments le plus ancien temp�rament de la musique occidentale?
Ce n'est pas si s�r. Les intervalles d�mesur�ment grands ou petits rendent le jeu polyphonique (� deux ou plusiers voix) absolument impossible, ce qui ne pose pas de probl�me dans le cas qui nous occupe, car les sonneurs en couple comme les chanteurs de kan ha diskan fonctionnent plut�t en antiphonie (chaque phrase est r�p�t�e telle quelle par le comp�re, � tour de r�le), mais qui limitent l'utilisation de cette �chelle dans un autre contexte. Il s'agirait plut�t d'une d�g�n�ration d'un temp�rament beaucoup plus "normal" (peut-�tre baroque, qui sait?) dont les contours auraient �t� amplifi�s � chaque reproduction.
Hormis l'int�r�t historique et musicologique de tout cela, pourquoi vouloir jouer de la musique "non temp�r�e"?
L'encha�nement des intervalles, dont certains sont acoustiquement purs et d'autres pas, conf�re une couleur toute particuli�re � la musique. Plus encore, il souligne les consonnances et accentue les dissonances, donnant ainsi beaucoup plus de saveur � la musique.
C'est ce qui fait qu'� l'�coute d'un couple de sonneurs qui joue avec des instruments � l'ancienne dans une �chelle de gamme du pays vannetais se reconna�t tout de suite par son "son" caract�ristique.
Vous croyez peut-�tre que le public, le grand public, celui qui n'a que faire de toutes ces consid�rations scientifiques, vous croyez peut-�tre que le public ne fera pas la diff�rence? Eh bien d�trompez-vous: combien de fois des gens sont venus vers nous en nous disant :
Je reste persuad�e que l'utilisation d'une gamme in�gale toute particuli�re n'est pas pour rien dans ce genre de r�flexion, dont nous avons une foule d'exemples semblables.
Et nous alors? Notre fameuse gamme non temp�r�e? Quelle est-elle?
Ce n'est pas la gamme dite "vannetaise"; ce n'est pas non plus un des temp�raments que l'on retrouve dans les manuels d'acoustique. C'est le fruit de mes recherches, la synth�se de plusieurs temp�raments relev�s sur des instruments anciens, assimil�s, dig�r�s, synth�tis�s. C'est une �chelle qui nous permet d'obtenir certains intervalles acoustiquement tr�s purs, et d'autres vraiment grin�ants, qui nous permet de jouer sur la dynamique de tension - d�tente et de d�voiler des couleurs toutes particuli�res, franchement diff�rentes des couleurs instrumentales des autres musiciens. Couleur, voil� le ma�tre mot de la musique non temp�r�e. Nous avons choisi des couleurs vives, sans demi-teintes; est-ce surprenant de la part de musiciens... � fort temp�rament? ;-)
Quant � la composition exacte de notre gamme... vous ne croyez tout de m�me pas que nous allons vous donner la recette, non?! Seul notre luthier Dominique Boug�, qui a accept� de patiemment (re?)cr�er pour nous des instruments � l'ancienne en utilisant une �chelle non temp�r�e conna�t les valeurs exactes de notre petit secret. Et ne tentez pas de le soudoyer: il ne parlera pas, m�me sous la torture...
Tout au plus vous dira-t-il qu'� d�faut de poss�der la recette, il faut consommer le plat sans mod�ration...
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