Gravures

provenant de

l'Encyclopédie de Diderot et D'Alembert

publiée à Paris de 1751 à 1772

 

les commentaires sont de Claude Nadeau

 

Instrumens qui se touchent avec l'archet

fig. 1: Basse de viole (ou viole de gambe) de la très-grande famille des violes, c'est certainement l'instrument le plus connu; il connaît par ailleurs un regain de popularité depuis le film "Tous les matins du monde", qui porte à l'écran deux grands gambistes et compositeurs de musique pour viole sous le règne de Louis XIV: Marin Marais et Augustin d'Autrecour, dit Monsieur de Sainte-Colombe. Comparable au violoncelle par son registre, la viole de gambe (gambe, donc que l'on place entre les jambes) possédait six cordes jusqu'à ce que Monsieur de Sainte-Colombe ait l'idée d'en rajouter une septième. Il est à noter que l'on joue de la basse de viole en tenant l'archet la paume tournée vers l'extérieur, contrairement au violoncelle. L'instrument, comme le violoncelle baroque, est maintenu entre les jambes sans nécessiter l'appui d'un pic sur le sol, et est doté de cordes de boyau d'animal, comme tous les instruments à cordes anciens.

 

fig. 3: Pardessus de viole - l'instrument le plus aigu de la famille des violes, qui se dépose à la verticale sur les genoux. Si son registre est comparable à celui du violon, il possède davantage de cordes (cinq ou six). Il est à noter qu'il existe tout un éventail de violes dont le registre se situe entre la gambe (la plus basse) et le pardessus (la plus aigue): viole ténor, viole alto, &c; ...

fig. 5: Viole d'amour (viola d'amore) - tous les instruments dits "d'amour" (hautbois d'amour, flûte d'amour, etc…) sonnent plus bas que les originaux, d'environ une tierce. Cet intervalle ne saurait être considéré comme une règle générale, d'autant plus qu'il existait plusieurs façons d'accorder les instruments. Le registre de la viole d'amour se compare à celui de l'alto moderne; on remarque toutefois sur la gravure le grand nombre de chevilles, qui nous indique que cette viole d'amour disposait de six cordes.

fig.7: Violon - on remarquera que le manche (la touche) est absolument droit; on notera également l'absence de mentonnière, inutile du fait que le violon se dépose sur l'épaule ou le haut de la poitrine, sans avoir besoin d'y être maintenu par une pression du menton.

fig. 8: Archet - plus léger qu'un archet moderne, il est aussi moins tendu, et réagit de façon différente à la pression et au mouvement.

fig. 9: Pochette avec son archet - la pochette n'est rien d'autre qu'un violon de poche! Elle est principalement destinée aux maîtres à danser (ou professeurs de danse), qui le tirent de leur poche pour en jouer en accompagnant leurs élèves pendant leurs leçons.

fig. 10: Trombe marine - un des nombreux instruments baroques à n'avoir que très mal traversé le temps… il s'agissait donc d'un instrument à corde frottée (une seule - ce qui nous permet de déduire que le registre de l'instrument devait se trouver plutôt limité), comparable au violon et à la viole. Antonio Vivaldi a écrit un très beau concerto pour cet instrument; comme de nos jours il n'existe que fort peu de trombistes (…), ce concerto est généralement joué au violon.

Instrumens à vent

fig. 11-15 Hautbois - d'abord à gauche, l'anche double, que l'on fait vibrer pour obtenir le son. Puis, l'instrument (fig. 11), le hautboÿs en coupe transversale (fig. 12) et les trois parties séparées (fig. 13-15). Là où le hautbois baroque diffère du hautbois moderne, c'est principalement à cause des trous qu'il faut boucher avec les doigts plutôt qu'avec des clés. De plus, la forme très légèrement différente et le type de bois utilisé rendent le hautbois baroque extrêmement difficile à jouer (peut-être, des instruments anciens, le plus difficile). En revanche, le son qui en sort est extrêmement pur et droit, sans ce vibrato caractéristique au hautbois moderne. Il ne faut pas oublier qu'à l'époque baroque, le vibrato est considéré comme un ornement et non comme faisant partie automatiquement du son (voir à ce sujet le traité de Geminiani).

 

fig. 16-19 Clarinette - c'est un instrument relativement récent par rapport aux autres; aussi ne parle-t-on de clarinette qu'à partir de l'époque classique. Les concertos de Mozart et de Stamitz constituent les premières véritables "pièces de résistance" pour la clarinette, bien que Vivaldi tente déjà de faire usage de cet instrument dans un concerto de son opus 3. Comme pour tous les instruments anciens, les trous doivent être bouchés par les doigts. Notez également la différence par rapport à la clarinette moderne dans la forme cônique plus accentuée du pavillon.

fig. 28-29 Traverso (ou flûte traversière, ou flûte allemande) - allemande par rapport à la flûte à bec, plus couramment utilisée par les français. Encore une fois, les trous sont bouchés par les doigts (à l'exception de la note la plus grave, le do, qui est bouché par une clé sur certains modèles plus tardifs). Si les flûtes modernes doivent leur son cristallin à leur corps de métal, les traversos sont tout de bois, ce qui produit un son d'une suavité proprement divine ! Le contrôle du vibrato (un ornement, ne l'oublions pas! ) contribue aussi à créer un son différent. Flûtistes, lisez absolument le traité de J.J. Quantz sur l'Art de jouer de la flüte (les autres instrumentistes y trouveront aussi leur compte… le meilleur ouvrage, à notre humble avis, pour saisir l'époque baroque et classique).

Instrumens à cordes pincées

fig. 7 Théorbe -
le préfixe grec theos se rapporte aux dieux… le théorbe est donc "l'instrument des dieux" ! Semblable au luth, le théorbe possède en outre une série de cordes graves appelées "chœurs" dont l'instrumentiste peut se servir pour faire la basse (comme les pédales d'un orgue). Le théorbe est rarement utilisé seul; il accompagne très-bien les autres instruments, entre autres la voix, et peut tenir la partie de continuo dans un ensemble instrumental.

Un mot sur le continuole continuo, ou basse continue, est un accompagnement régi selon un système d'accords codifiés et une ligne de basse. Le ou les instruments formant le continuo (clavecin, orgue, théorbe, luth, chitarrone, guitare, pianoforte, viole de gambe, harpe, &c;…) disposent d'une ligne mélodique correspondant à la main gauche pour un claviériste, et d'un chiffre représentant un accord (ex.: 7 pour un accord de septième, 6 pour un accord en premier renversement, &c;…). Le continuo peut être seul opposé à une ligne mélodique soliste, ou se fondre dans un ensemble instrumental. Dans une partition d'orchestre, la partie du continuo double le plus souvent celle du violoncelle, et n'est désignée que par le terme générique "basso"; l'instrumentation est laissée à la discrétion des musiciens. On peut par exemple entendre un chanteur dans une cantate accompagné par un orgue de chambre et un théorbe, ou une épinette et une viole de gambe; dans un orchestre, la section continuo peut comprendre jusqu'à cinq musiciens ou plus: clavecin(s), gambe, luth, etc…

Il va sans dire que la ligne de basse donnée et l'accord chiffré ne constituent pour le continuiste que le squelette, le schéma harmonique à partir duquel il faut improviser l'accompagnement. Le défi est de jouer un accompagnement inventif sans voler la vedette au soliste, de rester à sa place sans être insipide, bref de faire preuve de bon goût ! Pour résumer, j'aime bien comparer le continuo à la partie tenue par un pianiste dans un band jazz, qui à partir d'une "chart" d'accords, improvise librement tout en se mêlant au groupe…

fig. 8: luth - fut certainement l'un des instrumants les plus populaires pendant plusieurs siècles, peut-être à cause de sa notation en tablatures qui rendait la lecture de la musique si facile. En effet, les pièces de luth ne sont pas écrites avec des notes sur une portée, mais d'une façon graphique par une série de lignes (représentant les cordes) et de petits signes indiquant où poser les doigts! Ce système de tablature, comme pour les accords pop de guitare, rendait le luth si accessible à tous qu'il ne se trouvât pas un foyer où l'on n'ait son luth! Souvenez-vous de cette charmante scène du Mariage de Figaro de Beaumaichais où Suzanne (une servante!) accompagne Chérubin en jouant du luth (acte II, scène 4)

fig. 9: pandore en luth - encore un instrument oublié, qui me semble être une variante grave du luth. Celui représenté sur la gravure possède dix-huit cordes!

et finalement… le clavecin- permettez que je vous présente une photo d'un magnifique clavecin réalisé par les ateliers Marc Ducornet, copie d'un modèle du XVIIIe siècle du facteur français Hemsch: je me dois d'avouer, en toute candeur, que le clavecin représenté dans l'Encyclopédie présente des erreurs de perspective qui le rendent grotesque (et j'en suis la première désolée). Néanmoins, comme on ne saurait passer à côté de cet instrument, voici deux gravures représentant le mécanisme d'un clavecin:




Le clavecin, comme le luth ou la harpe, est un instrument à cordes pincées (le terme anglais harpsichord souligne d'ailleurs bien cette parenté). Comme on le voit sur cette admirable gravure, chaque touche du clavier est en réalité un levier posé à l'horizontale, actionnant un sautereau à la verticale (voir l'illustration). Une languette dépasse du sautereau : c'est le plectre qui sert à pincer la corde lorsque l'on appuie sur une touche. Lorsque la touche est relâchée, un tout petit bout de feutre, appelé étouffoir, vient se reposer sur la corde pour en arrêter la vibration. Tant qu'on ne relâche pas la touche, la corde continue donc de vibrer; c'est en maintenant enfoncées certaines touches, donc en laissant vibrer certaines cordes (vibrations sympathiques) que le claveciniste peut créer un legato, voire un crescendo, et véritablement faire chanter son instrument.

Certains clavecins, notamment ceux de type français, possèdent deux claviers superposés, présentant chacun une couleur de son différente; celui du bas est le plus fort, alors que celui du haut ("petit clavier"), est plus délicat. On les peut accoupler, donc joindre l'action du clavier supérieur à celle du clavier inférieur sur lequel on joue, en poussant vers le fond le clavier supérieur - ce qui permet aux touches du bas d'actionner également les leviers du haut.

Je terminerai en soulignant que la littérature pour clavecin est immensément riche et vaste, beaucoup plus vaste en fait que celle du piano (l'instrument n'a-t-il pas beaucoup plus de siècles d'histoire derrière lui?), et qu'en aucun cas clavecin et piano ne sauraient être comparables. L'un est à cordes frappées, l'autre à cordes pincées; de plus, la production du son, la façon de faire des nuances, crescendos et decrescendos, et toute la technique reposent sur des principes diamétralement opposés. Ceci étant écrit pour mettre fin à ce mythe voulant que le piano 'descende' du clavecin, ou que le clavecin ne soit pas un instrument 'achevé' ou 'évolué'. Non mais!

De toute façon, je laisse le dernier mot à Michel de Saint-Lambert (1702) :

"Entre tous les Instrumens qui sont en usage aujourd'huy, il n'y en a point aprés l'Orgue de si parfait que le Clavecin" … ;-)

Lisez également le manifeste baroqueux

Retour chez Claude Nadeau, claveciniste

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