Notes au programme pour l'oratorio Le Messie de Handel

concerts du 17 mai à Ferrières en Gâtinais, du 18 mai à Puiseaux, du 6 juin à l'Abbaye de Cercanceaux et du 13 juin à Châteauneuf sur Loire

Suite à la demande de plusieurs personnes, je retranscris ici la note éditoriale que j'avais écrite pour le programme de ces quatre concerts.


Admirable défi que de monter une pièce maîtresse telle que le Messie de Handel! Cette audacieuse idée, lancée en forme de boutade lors d’une précédente aventure musicale avec Jean-Marie Perrotin et des membres de Chantecléry, s’est transformée en fantastique projet collectif où chacun s’est personnellement investi, tant les choristes et leur directeur artistique que les instrumentistes et les solistes, en interaction avec plusieurs structures de la région.

Colossal challenge pour un jeune chef, que ce travail de longue haleine qui dura toute une année avec chacun des intervenants, sans compter les heures ni les trajets.

Ce Messie, je l’ai chanté d’innombrables fois depuis mon adolescence, et l’ai joué tant au clavecin qu’à l’orgue. J’ai donc tout naturellement choisi cette oeuvre somptueuse non seulement à cause de son immense beauté, qui traverse les âges sans prendre une ride, mais aussi parce qu’elle me semblait propice au travail avec un chœur qui veut aborder les défis que pose l’interprétation historiquement éclairée de la musique baroque. Je dois aussi avouer, avec un clin d’œil, qu’il me plaît de savoir que c’est sur ma terre natale, à Québec, que le Messie a été joué pour la première fois hors du Royaume-Uni, dès 1795, alors que cette œuvre était encore pratiquement inconnue en France et en Europe…

Au-delà du jeu sur instruments d’époque et de la redécouverte des aspects techniques et esthétiques qui font la splendeur de la musique baroque, l’objectif des « baroqueux », dont je me réclame, est de retrouver la fraîcheur de la musique à l’état premier, au sens (al)chimique du terme. Dans cette optique, j’ai voulu interpréter cet oratorio, sûrement l’une des œuvres les plus jouées au monde, comme si nous assistions à sa création et que nous revivions l’émerveillement de la première écoute. Si cette jeunesse retrouvée suppose peut-être aussi une certaine désacralisation de la musique, c’est qu’on oublie souvent que les musicos du XVIIIe s., loin des portraits grincheux des dictionnaires, étaient tout aussi bon vivant que ceux d’aujourd’hui. La musique ancienne n’est pas la musique du passé, morte, fossilisée : toute musique ne saurait qu’être actuelle, et ne vit que par les musiciens qui la sortent de la virtualité d’une partition pour la faire jaillir, ici, maintenant. Étonnant paradoxe où plus on se rapproche de l’essence même, de l’esprit premier d’une œuvre ancienne, plus on fait une musique profondément contemporaine!

C’est dans cet esprit d’œuvre revisitée que j’ai voulu faire participer certains choristes aux solos, comme Handel lui-même l’avait fait en son temps. J’ai aussi voulu redonner à la partie percussion la spontanéité dont elle jouissait encore au XVIIIe siècle, en la faisant intervenir à des endroits où elle n’est pas écrite – mais pas pour autant interdite- , comme la Pifa, charmante danse au nom dérivé de « pifferari » (joueurs de cornemuse italienne), dont nous interprétons la version longue… par pure gourmandise. Le Messie regorge par ailleurs d’invitations à la danse, et plus d’une fois on devine l’énergie d’une gigue irlandaise (cet oratorio n’a-t-il pas été créé à Dublin?) derrière certains chœurs…

Je tiens à remercier les choristes de Chantecléry et leur directeur de m’avoir accueillie avec tant d’enthousiasme, de m’avoir fait aveuglément confiance, et d’avoir bien voulu me suivre tête baissée dans cette folle équipée. Dans le travail avec des musiciens, qu’ils soient professionnels ou amateurs, il faut accepter que chaque être a ses propres raisons de faire de la musique, et aucune n’est meilleure que les autres. « Le but est le chemin » dit la légende arthurienne ; vous avez épousé ma quête du Graal, et nous avons ensemble parcouru beaucoup de distance depuis notre premier dimanche choral, tant au point de vue de la technique vocale que de la musicalité. Voilà sûrement ma plus grande fierté, au-delà du concert que nous allons faire ce soir : l’année dernière à pareille date vous ne vous imaginiez pas capables de tout cela. Mais voilà le vrai travail de direction musicale : tirer les musiciens vers le haut, donner envie d’aller plus loin, ensemble. Ne pas se comporter comme un boss, mais comme un leader.

J’espère vous avoir communiqué ma passion pour la musique ancienne, ma volonté d’en faire une musique vivante, et les quelques connaissances musicales qui nous permettent de bien la transmettre. Si tel est le cas, et au-delà du concert de ce soir, alors j’aurai véritablement accompli mon travail de chef.

Bon vent à Chantecléry! Bon concert à tous!