Mon amour de la musique bretonne n'est pas né spontanément; comme toute passion, il ne va pas nécessairement de soi, et la connaissance des beautés comme des étrangetés de l'objet aimé accroît parfois l'affection qu'on lui porte.
C'est la musique ancienne, et particulièrement la musique médiévale qui m'a amenée à la musique bretonne. Il y eut un déclic, un jour de fête: en regardant les danseurs enrouler et dérouler d'en-dro j'eus l'impression d'être transportée en des temps anciens où la chalemie et la buisine faisaient danser le branle. Et pourtant, malgré des ressemblances manifestes, la musique bretonne d'aujourd'hui s'affirme plus moderne que jamais.
Il est probable que les chevaliers rapportèrent avec eux dès les premières croisades, parmi un bazar immense d'épices, de tissus, d'ouvrages et de trésors en tous genres, des chalumeaux à anche double fort prisés dans les pays sarrazins. La découverte d'une anche en roseau datant de l'ancien empire égyptien (3000 ans av. JC) atteste que des instruments de type bombarde sont connus en Afrique du Nord depuis des millénaires, et continuent encore aujourd'hui de charmer sinon les serpents, du moins les oreilles des amateurs.
Tout comme les flûtes, les chalemies médiévales sont diverses dans leurs formes et fort probablement dans leur son; très tôt on retrouve dans les manuscrits des joueurs d'instruments à anches doubles accompagnés de cornemuseux. Chalemies, charamelles, piffera et autres hautbois sont courants et présentent l'avantage des hauts-instruments : se faire entendre à l'extérieur. Lefèvre de Resson, procureur au Parlement et poète, écrira en 1376 que des " grosses bombardes " sont chose nouvelle; à la Renaissance, ces chalemies graves feront les délices des danseurs, jusqu'à Pretorius qui consacre dans son traité De Organographica (1619) dix chapitres sur quinze aux instruments à anche double.
Il y a fort à parier que le couple mythique bombarde/cornemuse remonte, sinon à la nuit des temps, à cette époque extrêmement riche artistiquement que fut le moyen âge. Toutefois, la bombarde telle qu'on la connaît actuellement dans les bagadoù est une forme assez récente : une visite au Musée de la Bretagne à Rennes ou au Musée des Arts et Traditions Populaires à Paris suffit pour s'en rendre compte. Les instruments des " anciens maîtres-sonneurs ", comme ont bien voulu les nommer les folkloristes, sont souvent en buis et présentent fréquemment des incrustations très ouvragées.
On disposait pourtant dès le haut moyen âge de bois exotiques tels que l'ébène; pourtant il semble que le choix du buis pour les bombardes se soit imposé pour sa sonorité à la fois riche et moelleuse. L'expression " c'houez ar beuz " , souffle dans le buis, atteste de l'utilisation de cette essence; elle fait peut-être aussi référence à la matière avec laquelle le sonneur lui-même fabrique ses anches, non pas toujours en roseau comme aujourd'hui mais parfois en buis ou en d'autres matières jugées propres à cet usage, comme la corne de bœuf bouillie…
Il semble que dès le XIXe s., la région lorientaise s'affirme comme un centre de lutherie bretonne, avec notamment Jean-Pierre Jacob, luthier issu d'une famille de musiciens et lui-même sonneur. Mais c'est au milieu du XXe s. que la bombarde connaîtra des changements importants, le jeu en grand ensemble des bagadoù exigeant des sonorités plus perçantes et des instruments aux possibilités toujours plus étendues. Jean Capitaine, Dorig Le Voyer, et plus récemment des luthiers comme Jorg Bothua ou Hervieux & Glet contribueront à l'évolution de l'instrument en étendant ses possibilités et en ajoutant dans le grave un système de clés qui permet une extension de deux ou plusieurs notes.
L'archétype de la bombarde de type " bagad " comme on la conçoit depuis les années 50 est un instrument d'ébène bagué d'ivoire (ou d'ivoirine) en si bémol, tonalité imposée par l'introduction de la cornemuse écossaise. Les anciens sonneurs utilisaient le plus souvent les tonalités de si bécarre, la, sol, voire sol dièse, et des gammes à intervalles inégaux incompatibles avec le système d'accord standardisé au XIXe siècle par l'arrivée d'instrument modernes comme le piano qui ont habitué nos oreilles à plus de normes et à moins de nuances…
Ce large spectre de tonalités et de systèmes d'accord forçait les compères à acquérir un couple d'instruments, cornemuse et bombarde, conçus pour sonner ensemble; c'est peut-être la différence d'accord entre les différents musiciens de diverses régions de Bretagne qui a fait comparer à un journaliste de "L'Illustration" les sonneurs du concours des binious de Brest en 1895 à " 30 à 40 000 matous surexcités par les effluves printanières chantant en chœur une ballade à la Lune "…
Aujourd'hui, des luthiers comme Dominique Bougé s'amusent à recréer des instruments " mod kozh " à l'ancienne, copiés ou inspirés pas ceux des maîtres-sonneurs, et dont les sonorités étranges issues du fond des âges réveillent des émotions oubliées. Musique de bagad ou couple de sonneurs, instruments modernes ou historiques, rock ou trad, la musique bretonne offre, aujourd'hui plus que jamais, un éventail de sonorités propres à ravir tous les publics.
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"C'Houez ar beuz"
par Claude Nadeau
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