LA VEUZE
du moyen âge à nos jours
par Daniel Dupitier
et Claude Nadeau
Dans notre recherche d�une instrumentation appropriée
pour l�interprétation de la musique médiévale, nous
nous sommes particulièrement intéressés à la
veuze, que nous croyons être, de toutes les cornemuses qui ont traversé
le temps, une de celles les plus proches des modèles anciens.
La grande famille des cornemuses comprend tout instrument
à poche muni d�un hautbois sur lequel est exécutée
la mélodie. Il s�accompagne ou non d�un ou plusieurs bourdons sonnant
une note continue accordée sur la tonique ou la dominante de la mélodie.
La
veuze se distingue par la grosseur de sa poche et la longueur de son chalumeau
(partie o� l'on place les doigts). Sa perce tronconique et son anche double
lui donnent cette puissance des instruments d�extérieurs, dits hauts
instruments. Au moyen âge, la souche, qui raccorde le chalumeau à
la poche, et le pavillon cannelé, qui amplifie le son par son évasement,
s�ornent fréquemment de sculptures zoomorphiques ou anthropomorphiques.
C�est un instrument diatonique, c�est-à-dire que la gamme comprend
huit notes, sans dièses ou bémols. Son jeu utilise un doigté
simple, dit ouvert, par opposition à nombre de cornemuses beaucoup
plus récentes telles le bagpipe écossais, la cabrette ou la
bourbonnaise, utilisant un doigté à fourche, dit fermé.
Au moyen âge, les cornemuses avec ou sans bourdon
se côtoient et lorsque la cornemuse en possède un, sa perce
est cylindrique et son anche, battante (simple). A son extrémité, une
poire renferme un résonateur. Une fontanelle, petit orifice percé
sur le côté du bourdon, bouché ou laissé ouvert,
permet l�accord du bourdon sur différents modes. D�après la
taille des représentations anciennes, le type d�anche et la perce
supposées, la tonalité varierait de sol à ré.
Aujourd�hui la tonalité courante est " la " qui
avec le glissement de diapason se rapprocherait peut-�tre du si bémol ancien,
tonalit� extr�mement courante aujourd'hui pour les instruments � vent. Hormis
quelques considérations esthétiques, la veuze n�a que tr�s peu changé
depuis des siècles. Notre ancêtre se porte bien.
Dès 1260, les premières représentations
de cornemuses apparaissent dans le manuscrit des " Cantigas de
Santa Maria ", source iconographique extraordinaire pour les instruments
médiévaux, puis en 1330 grâce aux moines irlandais dans
les psautiers de Luttrell et de Garleston. En 1508, nous retrouvons,
dans le livre d�heures d�Anne de Bretagne, une cornemuse aux dimensions
identiques à la veuze. Les enluminures, les bas-reliefs d�églises,
les sculptures de pierre, les peintures s�ornent de cornemuses le plus souvent
à bourdon unique ; la poche est volumineuse ; le clalumeau est long
et les musiciens y placent largement leurs mains : c�est presque notre veuze.
Les anges, ménestrels et autres musiciens représentant des
" veuzous " s�associent à des sonneurs de hautbois
et à des percussions pour former un archétype d�instrumentation
médiévale.
Au moyen âge, la notion de types régionaux
était moins marquée qu�aujourd�hui ; mais dès
le début de la Renaissance, au XVe siècle, alors que la veuze
régnait sur toute l�Europe, l�attrait de la nouveauté et les
spécialisations régionales favorisèrent l�apparition
de nouvelles cornemuses. D�autres instruments plus modernes et de nouvelles
modes rognèrent le champ d�activité de la veuze. Au XIXe siècle,
la veuze n�était plus pratiquée que dans le marais Breton-Vendéen,
l�Anjou et toute la Bretagne. Parallèlement, le petit biniou actuel
apparut et détrôna progressivement la veuze en Basse-Bretagne
(Finist�re et Morbihan) à partir du XVIIIe siècle. Derniers
remparts avant l�oubli, le pays nantais et ses régions limitrophes
résistèrent.
L�étymologie du mot veuze ouvre plusieurs pistes :
du latin " bucinum, bucina " à l�ancien français
" buisine " comme dans la chanson de Roland : " Par
tute l�ost funt lur taburs suner - E ces buisines et ces greiles mult
cler " (v. 3137-38) � notons le mot " greiles ",
instrument que les musiciens provençaux connaissent sous le nom de
graile, ou hautbois du Languedoc : on retrouve notre trio hautbois/cornemuse/tambour.
Une autre sémantique, " vesica ", donne vèze
et vesse. Rabelais mentionne, dans son Quart Livre en 1552, que
" Les vezes, bousines et cornemuses sonnèrent harmonieusement ".
Une autre piste viendrait des essences utilisées, particulièrement
le buis, en breton " beuz ", donnant " veuz "
avec la mutation des consonnes initiales propre à la langue bretonne.
L�imagerie populaire s�est emparée très vite
de cet instrument festif : les dénominations s�entrechoquent,
allant du personnage ventru " un gros vezé ventrosus ",
au personnage flatulent comme l�outre qui se dégonfle, au son gueulard
du poivrot beuglant des insanités, à l�animal fantastique,
voire diabolique. Les fêtards et les humoristes de tout poil, usant
de jeux de mots souvent grivois, ne s�y sont pas trompés, ni le clergé
d�ailleurs, rejetant sur l�instrument et le musicien, devenus diaboliques,
toutes les foudres de la Sainte Eglise allant jusqu�à l�interdire,
dès le XVIe siècle, dans les lieux de culte. Est-ce à
dire qu�avant, elle y officiait de façon courante ?
Parmi les cousines les plus proches de cet instrument ancien,
on retrouve la piva et la musa en Italie, la gaïta en Asturie, Galice et Portugal,
une cornemuse du Pays de Galles, la cabra ou la bodega en Languedoc.
Bien s�r, la veuze moderne, telle que la fabriquent les
luthiers comme Thierry Bertrand ou Dominique Boug�, n'est pas une cornemuse � proprement parler m�di�vale.
Et pourtant, elle en pr�sente de nombreuses caract�ristiques, tel que nous
l'avons vu plus haut. Le d�fi que nous nous sommes donn�, en tant que musiciens
m�di�vistes, est donc de remonter le temps, et de tenter de reconstituer
une veuze "� l'ancienne". Un d�fi � la hauteur de notre enthousiasme! Notamment,
l'utilisation d'une �chelle m�lodique non temp�r�e, dans l'esprit par exemple
de celles relev�es sur les anciens instruments vannetais mais quand m�me
substanciellement diff�rente de celle-ci, est utilis�e pour la m�lodie.
Que ce soit en bouchant les trous � l'aide de cire pour corriger leur hauteur,
technique tr�s ancienne par ailleurs, ou en cr�ant un nouveau hautbois d'une
perce diff�rente, avec la complicit� du luthier Dominique
Boug�, ou encore la recherche d'une esth�tique particuli�re, la porte
est grande ouverte pour recr�er des instruments surprenants, propres � rendre
la musique m�di�vale dans toute sa splendeur.
Pour en savoir plus...
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Livres et cd-rom
Sons
et instruments de musique au Moyen Age
Excellent livre de Catherine Homo-Lechner,
qui se sert de l'arch�ologie m�di�vale pour reconstituer, sans fantaisie,
l'instrumentarium ancien.
"Bagpipes"
par Anthony Baines
(en anglais seulement)
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